Textes d’auteurs

Série LAPS, burin, détail, C. Gillet
  • L’univers de Catherine Gillet est tantôt marin, terrestre ou céleste. À moins qu’il ne soit que derme ou flux, ou tout simplement transfert de la pensée sur le papier.

    L’artiste encre la matrice – confidente depuis de nombreuses années – puis l’étale aidée de la paume, de l’avant-bras, première investigation corporelle.

    Le tracé vibre mais ne dessine en rien l’œuvre, il la suggère.

    Le burin amorce la traversée du langage sur la page blanche. L’outil creuse laborieusement la terre, fertile au bout d’un ou plusieurs mois.

    Pas de retour, c’est gravé, digéré ou raté. D’ailleurs, le regardeur n’est pas là pour être choyé, il doit juste être lui aussi à la hauteur, prendre le temps, se laisser déranger, se voir récompenser par des paysages, des éléments ou même le souvenir d’absents, que l’on croit imprimés dans notre mémoire mais qu’il faut sans cesse retrouver. C’est souvent mousseux, venteux et déchaîné, mais précis, et toujours contrebalancé par des traits faussement accidentels.

    En dessin, c’est une autre sensibilité ; on ne lutte plus contre l’envie de caresser le papier pour suivre les petites rigoles, on se laisse happer.

    Je songe alors à Hugo : « La matière n’est pas et l’âme seule existe ».

    Lise Fauchereau, 25 février 2019

    Texte écrit en préambule à l’exposition “Catherine Gillet - Un bout de lumière”, 2019. Reproduit avec l’aimable autorisation de la Galerie l’Echiquier, Paris.

    L’auteur est bibliothécaire au département des Arts du spectacle de la Bibliothèque nationale de France

  • Comme une idée qui passe, légère, et va soudain accrocher le métal, le monde imaginaire de Catherine Gillet est si subtil qu'on craint de l'abîmer en le mettant en mots. Pourtant la buriniste dit être assaillie par le langage —bribes de phrases, expressions— lorsqu'elle grave, se constituant ainsi un réservoir de titres dans lequel elle puisera, une fois l'œuvre achevée.

    On l'aura compris: c'est un travail de poète où il s'agit de saisir au vol les états d'âme, les froissements du temps, les élans inconnus ou les suspens de la pensée. Tout ce qui affleure, tout ce qui bouillonne sous la surface et va creuser le cuivre en grands mouvements et touches délicates pour se cristalliser en fragments d'un monde éclaté qui tentent de se rejoindre: rondeurs, blocs de matière échoués se métamorphosant en écume évanescente, en fleurs, en herbes flottantes .

    Car ici les contraires s'unissent, le plus solide et le plus fragile, le minéral et le végétal, le fixe et le mouvant : des spirales s'enroulent, des météorites menacent, des trous noirs se creusent dans la chair, des filaments tombent. La pensée devient matière, la poésie s'incarne en traits nés des tailles encrées, en ombres, points, dentelle mousseuse. La main qui tient le burin , ou le fusain et les pastels quand l'artiste dessine, se fait tour à tour puissante et légère pour aller à la rencontre de l'inconnu et donner des images d'une inquiétante douceur. Du grand art.

    Laurence Paton, écrivain

    Texte introductif à une exposition à la galerie l’Echiquier en 2016

    Reproduit avec l’aimable autorisation de la Galerie l’Échiquier

  • C’est une buée sur une vitre, quelques légers nuages échappés d’un ciel pommelé, une aile de papillon, un élytre de scarabée, une feuille d’automne flottant à la surface lumineuse d’un étang, des bulles de champagne, quelque accident du cuivre volontairement conservé, quelques taches magnifiées par le burin : les « Pensées liquides » de Catherine Gillet sont superbement cristallisées sur le blanc du papier, en des noirs délicatement enrichis d’un zeste de bleu, d’un zeste de rouge, de bistre.

    Catherine Gillet apporte un soin particulier à la couleur de ses encres, mais tout est important dans son art qui ne souffre aucune négligence. On y lit tout le sérieux qu’exige la poésie. D’où ces titres décalés qui lui viennent à l’esprit en feuilletant les dictionnaires et donnent un petit aspect surréaliste à ses images qu’ils ne définissent pas vraiment. On lui pardonnera qu’ils sentent un peu la philosophie, tant il y a à voir dans ce « Presque rien », ainsi qu’elle dénomme un des triptyques faisant partie des vingt-sept gravures spécialement exécutées pour la présente exposition.

    L’art du burin est ancestral, certains le croient chauve, édenté, podagre, pourquoi pas gâteux. Ils ont tort. Catherine Gillet manifeste qu’il est toujours jeune et vaillant, bien affûté. Sans exhiber une virtuosité qui choquerait sa modestie naturelle, elle fait montre d’un impressionnant vocabulaire graphique exalté par une inaltérable patience, nous entraînant dans le piège délicieux de sa méditation.

    Maxime Préaud, 18 avril 2014
    Maxime Préaud est artiste graveur et conservateur général honoraire des bibliothèques du département des estampes à la BnF

    (texte introductif à une exposition à la Galerie l’Echiquier en 2014, reproduit avec l’aimable autorisation de la galerie)

  • Le monde de Catherine Gillet est un rêve de la genèse. On y reçoit l’origine de la forme hors du lieu où elle était en gestation. L’espace y devient cette ouverture où des ondes se révèlent avec la lenteur d’un bruit. On touche aux préliminaires de ce qui existe.

    Ces œuvres –dessins et gravures- parlent de naissance : celle d’un contour, celle de l’observation avant la mise au point de la raison, celle de la ligne qui tente d’exprimer. Ce sont livres d’écumes, matrices de mouvements, souvenirs d’échos. Ce sont gravitations, amorces de gestes, sentiers sur les bords. Elles se situent entre ombre et lumière, à l’aube d’un tressaillement. Elles donnent des aperçus sur l’oracle, comme les cicatrices d’une paume tombée sur des arêtes de glace. Elles se fixent en méditations autour d’une armature, comme si pouvait se détendre la structure des os. Elles sont éloges allusifs de la chair, localisées comme les zones sur le corps. Elles aiment la transparence et le calme de la lymphe plus que l’affirmation du sang. L’unité se fragmente là et anime une sphère.

    Tout prédit la forme, à la manière de ces exuvies, dépouilles larvaires d’où sont éclos les insectes à métamorphose incomplète. Agrippées à un support, elles attestent d’un envol et d’une renaissance par quelques filaments aux rives d’une déchirure, seuls signes d’une dissolution dans l’air. Ces traces témoignent de l’éphémère. Elles sont la tangence d’une vie, son vertige sur le sol. Le burin creuse ainsi sa voie vers l’impondérable, coupe les césures de la réalité. Catherine Gillet affine et transforme les marges qui portent sur le vide.

    Alexis Gloaguen, Mars 2008

    Alexis Gloaguen est poète et écrivain, texte reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur

  • Il est des œuvres gravés dont l'huis s'ouvre facilement. Il en est d'autres, assez rares il est vrai, où le regard chemine dans un domaine qui semble à la fois complètement familier et totalement étrange. Trop cartésien, l'entendement y perd les clés de la demeure. Le regard n'ose alors se laisser aller à ce qu'il voit. Comme un gamin impertinent, il ne se lasse pas de questions alors que, s'il s'abandonnait au silence, les réponses se présenteraient elles-mêmes d'évidence.

    L'examen attentif des gravures de Catherine Gillet conduit à cette sensation subversive. Lire la suite…

    Prix Lacourière 2000 décerné par la BNF, cette artiste mûrit son œuvre dans des variations qu'elle propose au travers de séries d'estampes de petit format. Leur observation inquiète, dérange, capte, subjugue ou, a contrario dans un réflexe pudique, rejette dans l'indifférence ou pire dans la censure du sentiment que l'on sent affleuré.

    Ces gravures sont toutefois à mille lieues des provocations transgressives ou des incitations pornographiques auxquelles l'époque contemporaine nous a habitués. Leurs sujets ou bien plutôt, ce qu'une géométrie rationnelle feraient apparaître comme des objets figuratifs, sont bien anodins. Pas de monstres; quelques sortes de légumes, d'animalcules, d'excroissances, de duvets, de plis et de replis, de cavitations, de pores, de mamelons, d'aréoles, de creux et rondes-bosses peuplent timidement les planches. Parfois, encore plus simples, quelques lymphes en volutes et arabesques tournoient au cul d'un pot en laissant leurs écumes. Toutes ces formes peuvent donc aisément se décrire mais aucunes fatalement se rencontrer.

    Pourtant, toutes ces figures sont là bien vivantes, prêtes à se déployer, à grandir, à se rejoindre, à s'enfler, à se vider, à s'exhaler, à germer et à se multiplier avec douceur et suavité en subvertissant la surface qui les porte. Toute la qualité de ces images tient dans cette alchimie discrète où les traits du burin, qui se distinguent à peine, s'oublient pour mieux accoucher de ces formes qui festoient sur la plage du papier. A peine nées, elles s'y placent sans manières en attendant qu'on les découvre sous leurs langes. La sensation paradoxale qu'elles procurent alors ne se remémorerait-t-elle pas le contact primordial de l'enfançon avec la mère ? Cette excitation vitale, qui l'animait, ne passerait-elle pas maintenant des lèvres aux yeux que le regard sollicite ? Il s'agit peut-être là d'une des clés qui ouvre ce jardin élaboré avec lenteur.

    Dans cet œuvre, la gravure confirme encore une de ses qualités essentielles. Grâce à la proximité de l'œil à son objet et grâce aussi à l'immobilité de l'image, l'estampe permet l'intimité du moment. Dans cette durée privilégiée, la rêverie peut rejoindre le deuxième versant de la plaque, derrière le miroir des apparences. Là, il ne s'agit plus de son reflet, bardé de ses certitudes rationnelles, que l'on admire. C'est l'autre que l'on découvre; avec quelques appréhensions toujours mais aussi avec quelques délectations parfois. L'altérité est à ce prix et elle y prend toute sa valeur.

    Alors, économe de ses moyens, la matière expressive, en jouant des incisions infimes du burin sur le cuivre, montre sans ostentation les transformations qui gonflent ou affaissent les choses vivantes et sexuées; elle accompagne sans voyeurisme les humeurs qui épanouissent les envies, elle ouvre sans complaisance les pores où s'exultent les satiétés dont celle du regard n'est pas des moindres.

    Claude Bureau 16 février 2007

    Claude bureau est artiste graveur

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